Les raisons qui peuvent inciter à adopter les techniques
culturales sans labour sont diverses : aspects économiques,
organisation du travail, raisons agronomiques, environnementales…
Des progrès significatifs ont été faits pour apprécier leur intérêt,
qui dépend fortement des situations rencontrées et des problèmes à
résoudre dans l’exploitation.
Le dernier
colloque sur la simplification du travail du sol, co-organisé par
INRA, le Cemagref et l’ITCF date de 1991. C’est donc dix ans après
que nous vous proposons de faire un état des lieux des avancées
techniques sur ce sujet.
Depuis cette
époque, le contexte a évolué sur plusieurs plans et tout d’abord
celui des motivations qui poussent certains agriculteurs à changer
leurs techniques de travail du sol.
Des raisons diverses
Aspect économique et organisation du
travail
L’intérêt des agriculteurs pour les
techniques simplifiées s’est amplifié avec la pression des
contraintes économiques. La recherche de techniques de production
moins coûteuses et souvent plus rapides est sans doute l’un des
arguments les plus forts dans l’adoption des techniques sans labour
(TSL). Il ne faut cependant pas s’y tromper ; si l’aptitude des TSL
à baisser les coûts de production est unanimement reconnue, le
résultat final dépend de la façon dont elles sont mises en œuvre sur
l’exploitation. Pour valoriser pleinement les TSL il est souvent
nécessaire de repenser le système d’exploitation dans son ensemble :
l’organisation du travail, les techniques culturales, les chantiers,
l’équipement… On comprend alors aisément le besoin d’information que
génère l’adoption des TSL au niveau d’une exploitation.
Raisons
agronomiques
Il ne faut pas
oublier que d’autres motivations peuvent être à l’origine de cette
évolution des techniques et en particulier des raisons agronomiques
comme :
- la difficulté
de maintenir le labour dans certains milieux (sols usants, terres
caillouteuses…) ;
- le souhait de
maintenir un niveau de matières organiques élevé à la surface du sol
dans les terres à structure fragile ou sensibles à la
battance.
Raisons
environnementales
Plus récemment
sont apparues en France des motivations plus environnementales comme
le souci de limiter les phénomènes d’érosion hydrique. Notons que
dans certains pays, la lutte contre les risques d’érosion hydrique
ou éolienne est une des principales raisons de l’application du
semis direct. À ce sujet, les récents événements qui ont ponctué
l’actualité dans le domaine des catastrophes naturelles (inondations
en Bretagne, coulées de boue en Normandie…) posent de façon
récurrente la question de l’impact des techniques culturales - et
plus largement de l’agriculture - sur la circulation de
l’eau.
L’impact sur le
stockage de carbone dans le sol peut aussi être signalé. À titre
d’information, sur l’essai de travail du sol longue durée, en place
depuis 30 ans sur la station ITCF de Boigneville, l’augmentation de
carbone stocké après 28 ans sans labour est de 5 t/ha. Cette
augmentation est obtenue durant les 20 premières années, le stock
étant ensuite stable (45 à 46 t/ha dans notre cas), et correspond
donc en moyenne à + 250 kg/ha/an de carbone stocké (soit environ 1 t
de CO2/ha/an).
L’interaction
entre les modalités de travail du sol et le comportement des
produits phytosanitaires (efficacité, devenir des résidus liés,
lessivage...) reste encore un domaine à approfondir, avant de
conclure sur l’intérêt des TSL face à cette question.
Autres
raisons
Enfin, à tout
cela, il faut ajouter les effets de mode ou d’entraînement qui sont
loin d’être négligeables...
Une technique en
(de ?) progrès
Il n’existe pas
de statistiques récentes permettant d’évaluer le niveau de
pénétration des TSL dans les exploitations agricoles en France.
Divers éléments nous amènent à penser que le semis sans labour
représente environ 30% des blés et près de 40% des colzas, mais la
répartition sur le territoire est très variable : plus de 50% des
blés en Midi-Pyrénées et moins de 5% en Bretagne (ces statistiques
regroupent les pratiques occasionnelles et les pratiques continues
du non-labour). Cela signifie que les agriculteurs ne partagent pas
le même niveau d’expertise sur le sujet. Certains les pratiquent
déjà depuis plusieurs années alors que d’autres les découvrent. Les
plus expérimentés ont certainement un parcours riche d’expériences
qui mérite d’être partagé à l’occasion d’un colloque comme celui-ci
: qu’ils n’hésitent pas à s’exprimer et à faire part de leur vécu.
Depuis le début
des années 1990, l’offre de matériels adaptés aux TSL a beaucoup
évolué. D’abord en nombre puisque l’on compte aujourd’hui plus d’une
vingtaine de semoirs adaptés au semis direct (le SIMA est l’occasion
de les découvrir !) alors que le choix était limité à quelques
exemplaires au début de cette période. Ensuite, la diversité des
technologies utilisées est aujourd’hui un facteur de développement
de ces techniques (semis direct à disques, à socs, semis dans le
flux de terre, semis sous mulch…). Cette évolution technologique
offre de nouvelles perspectives mais pose également de nouvelles
questions : quel est le type de matériel le plus approprié à ma
situation ?
Les
connaissances agronomiques sur les modalités de mise en œuvre des
TSL ont aussi, et fort heureusement, évolué. On est encore loin de
tout savoir, mais il est vrai que l’on sait mieux gérer aujourd’hui
certaines spécificités liées aux TSL. On a appris, souvent à nos
dépens, que la suppression du labour avait des répercussions sur la
flore, le comportement des herbicides, la faune, les pathogènes… On
sait mieux appréhender aujourd’hui la gestion des résidus de
cultures et le désherbage d’interculture. Tous ces progrès dans le
domaine agronomique nous permettent d’anticiper les évolutions du
système de culture et d’éviter les erreurs (parfois fatales) que
nous pouvions faire dans le passé. Aujourd’hui la question n’est
plus "pour ou contre les TSL ?" car nous en connaissons les
avantages et les inconvénients, mais "comment placer les TSL dans
les meilleure conditions de réussite ?"
Il ne faut pas confondre "techniques simplifiées" et
"techniques simples"
Tous ceux qui
ont franchi le cap du non-labour sont assez d’accord pour dire que
la mise en œuvre des techniques sans labour est d’abord une épreuve
personnelle. Il faut en effet perdre ses habitudes, se remettre en
cause, réapprendre à cultiver avec d’autres points de repère, se
forger une nouvelle expérience sous le regard parfois amusé de
quelque voisin irréductible laboureur. Par-delà les difficultés
liées à un profond changement de raisonnement agronomique, c’est
aussi une formidable occasion de progresser sur le plan
technique.
L’INRA et
l’ITCF présentent en collaboration les dernières avancées en matière
de simplification du travail du sol. Ces avancées s’appuient sur des
expérimentations et des travaux rigoureux, mis en place et suivis
depuis plus de 30 ans pour certains d’entre eux.
La présentation
objective de ces résultats – mission première des Instituts -
devrait contribuer à éclairer un débat, - parfois passionnel -
visant à toujours mieux raisonner le travail du sol.
Et pour conclure : ne pas confondre moyens et
objectifs
Malgré tout, ce
serait une erreur de considérer la suppression du labour comme un
objectif en soi. Bien des situations justifient encore l’usage de
cette pratique. C’est plutôt sous l’angle d’un nouveau moyen capable
d’apporter des solutions à un problème donné qu’il faut considérer
les TSL. Employées à bon escient, elles peuvent ouvrir de nouvelles
perspectives pertinentes pour l’agriculture du troisième millénaire,
dont chacun s’accorde à dire qu’elle sera durable ou ne sera
pas.
À l'instar des
stars, le sol, cet épiderme de notre vieille planète Terre, mérite
bien lui aussi quelques soins de beauté !
À nous de bien
les choisir !
Gilles Thevenet,
Directeur Scientifique de l’ITCF
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